La pratique du breton de l'Ancien Régime à nos jours
la-pratique-du-breton.org
La thèse de Fañch Broudic en accès libre
Le XVIIIe siècle : expression orale
90 % des habitants sont des ruraux
Avant la Révolution, la Bretagne diffère considérablement de ce qu'elle a été par la suite. Tout d'abord, elle est une entité politique. À la mort de son dernier duc, François II, le 10 août 1536, elle n'est certes plus qu'une province du royaume. Mais cette province, par les édits de Nantes et du Plessis-Macé de 1532, avait obtenu la garantie de ses libertés fiscales, judiciaires et ecclésiastiques. Elle en jouira pendant deux siècles et demi, tout en connaissant, presque sans discontinuer, des situations de crise et de tension avec le pouvoir royal. De 1675 à 1789, en particulier, l'actualité politique, en France, a été constituée pour une bonne part des « affaires de Bretagne », au point que Jean Meyer écrit que « nulle époque n'a davantage placé la Bretagne en vedette que le XVIIIe siècle[1] ».
L'un des épisodes historiques les plus marquants se situe une vingtaine d'années seulement avant la Révolution, et prend la forme d'un conflit de compétences entre les États de Bretagne et les représentants du Roi dans la province. Il aboutit, en 1768, au rappel du duc d'Aiguillon, commandant en chef en Bretagne et gouverneur de fait, et au rétablissement du Parlement de Rennes, précédemment démis au profit d'une assemblée moins contestataire. En quelques années, les États s'imposent à l'Intendant, faisant « capituler la royauté sur toute la ligne[2] » : aucun impôt ne peut plus être levé sans leur accord, et la province est, vers la fin du siècle, la plus favorisée du royaume sur le plan fiscal. Ce que résume un manuel d'histoire : « c'est bien la seule province où le pouvoir royal s'est affaibli depuis Louis XIV[3] ».
Mais la société bretonne d'Ancien Régime est toujours différenciée en ordres : clergé, noblesse et tiers-état. La noblesse domine les Etats, la place prépondérante étant occupée par celle de Haute-Bretagne : « sur les 851 membres de la noblesse présents à la session rennaise de 1732, on comptait à peine 17 nobles venus de Basse-Bretagne[4] ». Les privilèges de la province ne sont souvent que les siens, en particulier au regard de l'impôt. C'est précisément cette question de la répartition proportionnelle des impôts qui provoquera, fin 1788 - début 1789, les premiers événements prérévolutionnaires à Rennes.
La paysannerie — comme la bourgeoisie urbaine — supportait en effet de plus en plus difficilement la tutelle de la noblesse : le tiers-état constituait 98 % de la population. À cette position anti-nobiliaire, s'ajoutait une opposition très forte entre les villes et les campagnes. 90 % des habitants de la province sont des ruraux. Les villes se sont pourtant développées au cours du XVIIIe siècle. En Basse-Bretagne, c'est le cas de Brest (35 à 40 000 habitants, presque autant que Rennes) et de Lorient (20 à 25 000 habitants). La première est le plus grand port militaire français, la seconde le siège de la Compagnie des Indes. Alors qu'aucune autre ville de Bretagne Occidentale ne dépasse la dimension de la petite ville ou du siège épiscopal, l'une et l'autre n'existent que de par la volonté du pouvoir politique ou économique du royaume. La fronde parlementaire ne doit cependant pas faire illusion : rapportant l'analyse effectuée, vers 1740-1750, par le subdélégué général Verdier, selon lequel les prix urbains, en Bretagne, sont alignés sur ceux de Paris, Jean Meyer considère que c'est « la preuve, s'il en était besoin, de la formation progressive d'un marché national beaucoup plus unifié qu'on ne l'a dit[5] ».
La population de la province est généralement estimée, pour 1789, à environ 2 200 000 personnes. C'est le chiffre auquel aboutit Jean-Pierre Goubert, après en avoir calculé les données par évêché et par subdélégation : pour 1785, il comptabilise en Bretagne 2 246 350 personnes[6]. F. Roudaut a, pour sa part, estimé le nombre d'habitants de la Basse-Bretagne dans une fourchette établie entre 950 000 personnes (hypothèse basse, dans le cadre de la limite Sébillot) et 1 000 000 de personnes (hypothèse haute, dans le cadre de la limite supposée du XVIIe siècle[7]).
Une langue si différente…
En Basse-Bretagne, on parlait évidemment breton. En 1663, au moment où Colbert de Croissy entreprend une enquête en Bretagne, Jean-Baptiste Babin, conseiller du Roi, trésorier de France et général des finances à Nantes, écrit dans un mémoire que le breton du vannetais est « grossier, et moins pur qu'aux autres trois évêchés ». S'il ne s'étend pas sur la constatation d'évidence de la pratique générale du breton en Basse-Bretagne, il signale ce qui lui paraît en quelque sorte une anomalie : « on parle aussi français dans les villes, et à Vannes, qui est le siège épiscopal, ils pensent mieux parler qu'à Nantes et pouvoir apprendre aux Etrangers la belle prononciation, et le bon accent. Mais cette vanité n'est pas mieux fondée que celle des habitants de Blois, où les Allemands vont apprendre notre langue[8] ».
Selon Jacques Gury[9] , les voyageurs sont « à peine sensible(s) à la présence du bas-breton », sauf Desjobert, vers 1780 : « tout ce peuple parle bas-breton depuis Lamballe à peu près, cette langue est si différente du français que je n'y entendais pas un mot. Au reste, les filles d'auberge, les postillons et beaucoup de petits marchands et ouvriers parlent français ». Ferdinand Brunot cite le témoignage d'Arthur Young : « j'entre dans la Basse-Bretagne. On reconnaît tout d'un coup un autre peuple, rencontrant plusieurs individus qui ne savent de français que : je ne sais pas ce que vous dites ou je n'entends rien ». Il ajoute à ce fait la mésaventure d'un certain Laurent Aymon de Franquières en 1780 : « il ne pouvait arriver à se faire comprendre hors des grandes villes, faute de savoir le breton[10] ». Dans la préface de son « Dictionnaire de la langue bretonne », Le Pelletier, indépendamment de considérations sur le vocabulaire du breton, en confine également l'usage à l'extérieur des villes :
« la langue bretonne, telle qu'on la parle aujourd'hui, n'est pas fort abondante. Les termes d'Arts, de Science, de Commerce, de Politique et de la plupart des Métiers lui sont inconnus. Renfermée dans la campagne, elle ne met en œuvre que les termes de la maison rustique, et ceux qui servent à donner les notions les plus communes de la vie civile[11] ».
Dans les évêchés bas bretons, tout le monde ne connaît donc pas le breton, et, parmi ceux qui le savent, il en est qui connaissent aussi le français. Nous l'avons vu en compagnie de F. Roudaut : entre 1775 et 1789, 30 % des personnes de son échantillon de comparants en justice savaient le français, 70 % étaient des monolingues bretonnants. Selon, François Le Lay, historien de Pontivy, pendant tout le XVIIIe siècle, deux interprètes étaient appointés dans cette ville pour traduire les questions du juge et les réponses des accusés et des témoins[12] . On ne peut déterminer ni le nombre de monolingues français ni le nombre de bilingues. Il n'en faut pas moins admettre que le breton était la langue de la majeure partie de la population, à la veille de la Révolution, mais aussi — et ce n'est évidemment pas contradictoire — que le français avait d'ores et déjà effectué une forte percée en Basse-Bretagne. Tous les témoignages concordent en ce sens.
Des collèges pour les élites
Si l'on en juge par le répertoire des collèges français des XVIe-XVIIIe siècles publié par Marie-Madeleine Compère et Dominique Julia[13] , la Basse-Bretagne, à la fin de l'Ancien Régime, comptait neuf collèges, qui assuraient une scolarisation au-delà des petites écoles. Quatre d'entre eux : ceux d'Auray, Guingamp, Morlaix et Pontivy, n'avaient apparemment qu'une importance limitée. De Guingamp, par exemple, on écrit en 1763 : « ce que l'usage a depuis quelque temps décoré des noms de principal et de collège n'était et n'est qu'une petite école dans laquelle un prêtre seul apprend le catéchisme et les premiers principes de la grammaire latine aux enfants de cette ville qui quittent ce prétendu collège dès qu'ils peuvent entrer en sixième ». Morlaix n'est considéré que comme un « petit collège » : d'ailleurs fermé en 1752, l'établissement ne rouvre qu'en 1788, avec 100 externes et 40 pensionnaires, pour refermer dès 1791.
Les autres, établis à Plouguernével, Tréguier, Saint-Pol-de-Léon, Quimper et Vannes, sont des collèges de plein exercice — à l'exception du premier, considéré comme un collège d'humanités — et dispensaient donc un enseignement plus différencié. Tous disposent de personnels (supérieur ou principal, procureur, professeurs de philosophie et de rhétorique, régents, préfets de pension…). Bien que la fréquentation soit fortement en baisse vers la fin du siècle, tous ont de nombreux élèves :
Si Plouguernével est situé en Bretagne intérieure, les autres établissements se localisent au siège des évêchés. Il ne fait aucun doute que c'est par eux que transitent les élites de la région, y compris celles qui vont prendre la tête du mouvement révolutionnaire quelques années plus tard. On n'en veut pour preuve que le témoignage d'un commissaire de district en 1790, produisant une citation de Cicéron pour demander la conservation du collège de Plouguernével, le seul collège situé en Centre-Bretagne : « Combien de personnes, aujourd'hui en place aux départements, tant du Morbihan, des Côtes-du-Nord que du Finistère peuvent avec vérité tenir le même langage[15] ». Le recrutement n'est pas seulement urbain, plus de la moitié des collégiens, à Tréguier, venant de moins de dix kilomètres de la ville épiscopale : « les jours de marché, l'absentéisme sévit parmi eux, car ils retrouvent leurs parents venus de la campagne environnante à cette occasion[16]… » À Vannes, l'importance du recrutement rural s'élève à 60 %.
Les collégiens reçoivent des cours d'instruction religieuse, bien entendu, mais aussi d'histoire, de géographie, de mathématiques…, selon la nature de l'enseignement que l'on y dispense, plus conservateur à Vannes, plus novateur à Quimper. Les langues enseignées sont le latin et le français. La fonction des collèges est d'évangélisation : en 1645, on envisage de faire savoir au pape « la nécessité et l'importance des collèges en la Bretagne pour l'instruction des prêtres et du peuple qui est à demy barbare et presque payen dans la campagne, principalement à cause de la langue bretonne qu'on y parle différente de la langue française[17] ». Le propos de Jean Briant, archidiacre et abbé de Landévennec, lorsqu'il se prononçe en 1616 en faveur de l'installation des Jésuites au collège de Quimper, est instructif, bien qu'antérieur de plus d'un siècle à l'époque qui nous intéresse :
« le peuple d'ici est enclin à la piété et les âmes sont prêtes à recevoir une culture spirituelle. Bien que le parler habituel soit le breton, la plupart néanmoins en ville savent le français et en usent. Il est coutume de prêcher dans les deux langues. À ce point de vue, le collège sera accueilli avec d'autant plus de faveur que ceux qui fréquenteront nos classes apprendront la langue française avec la latine[18] ».
Il ressort de cette argumentation que la langue courante, à Quimper, est le breton, mais que la population peut se servir du français. Les collèges ont bien pour fonction d'enseigner le français en même temps que le latin.
La langue bretonne, pourtant, entre aussi dans les préoccupations de l'encadrement ecclésiastique. La finalité des collèges étant généralement d'assurer la formation du clergé, le principal de Tréguier justifie, en 1763, l'existence de son établissement dans les termes suivants : « ceux qui se destinent à l'état ecclésiastique pour exercer l'apostolat dans ce diocèse sont obligés de savoir le breton du pays, absolument différent de celui de Vannes et de Quimper ; si on les force à s'expatrier huit à neuf ans, ils auront oublié leur langue maternelle, ne pourront prêcher ni confesser en breton ; ils seront conséquemment inutiles à leur état et le peuple cessera d'être instruit[19] ».
Cela veut-il dire que des cours de breton étaient alors organisés au collège de Tréguier, ou dans les autres collèges ? F. Roudaut observe seulement que les onze enseignants des séminaires cornouaillais de Quimper et Plouguernével étaient originaires du diocèse. Mais ce n'était pas le cas dans les autres collèges, les professeurs de Saint-Pol-de-Léon venant par exemple de Besançon, Metz, Montauban-de-Bretagne ou Vannes. D'autres indices cependant conduisent à des certitudes sur ce problème.
"Le secours et les lumlières de ma Carabassen de bonne mine"
Ayant retrouvé dans les archives de Kernuz onze versions bretonnes de la parabole de l'Enfant prodigue, collectées en 1811 pour transmission au ministre de l'Intérieur[20], Daniel Bernard publie les commentaires que les traducteurs avaient joints à leur envoi[21]. Ceux-ci étaient tous des prêtres, nés avant la Révolution, et ayant donc fait leurs études dans les collèges et séminaires de la fin du XVIIIe siècle. L'abbé Pierre-Gabriel Le Hir, par exemple, né à Plouzané en 1758, écrit au sous-préfet de Brest en 1811 : « n'ayant jamais de relation avec les Bretons de Cornouaille, de Tréguier ou de Vannes, je connais très peu leurs idiomes. J'avoue même que je n'ai jamais fait une étude du breton de mon pays. Je le sais cependant passablement par l'usage… »
Goulven Le Fur, né à Ploudaniel en 1748, ajoute le commentaire suivant à sa traduction : « quoique le bas-breton soit ma langue maternelle, je n'en ai jamais fait une étude particulière. Je connois peu d'auteurs qui en aient expressément traité. J'ai vu un dictionnaire du père Grégoire, capucin… » L'abbé Alexandre-Marie Joguet, né à Saint-Pol-de-Léon en 1761, reconnaît : « je ne parle le breton que comme nos bonnes gens qui n'en ont d'autre connoissance qu'une routine plus ou moins mauvaise. Je vous livre ce monument de ma honte et de mon insouciance sur ma langue maternelle… » Bernard Doucin, enfin, né à Quimper en 1757, ordonné prêtre à Jersey en 1795, avoue : « j'eusse été forcé d'y laisser quelques lacunes, sans le secours des lumières de mon docteur : c'est ma Carabassen[22] de bonne mine. C'est elle qui corrige tous mes thèmes et versions… »
Ces témoignages confirment tout d'abord le recrutement de bretonnants en vue de la prêtrise : ces ecclésiastiques de l'époque du Concordat sont tous à même de s'exprimer en breton, et ils le font usuellement - sinon d'ailleurs, ils n'auraient pu fournir la traduction qu'on leur demandait de la parabole de l'Enfant prodigue. C'est en cette langue qu'ils exercent leur ministère paroissial. L'abbé Jean Le Coz, né à Landrévarzec en 1756, était directeur du séminaire de Plouguernével et enseignait le catéchisme à Gouarec à des enfants. Ceux-ci venaient de trois localités différentes : « ils terminaient différemment leurs mots.
Tous précisent aussi qu'ils n'ont jamais étudié leur langue maternelle : c'est la preuve que les collèges n'avaient eu pour objet que de leur enseigner le latin et le français. Confrontés à la nécessité d'une expression bretonne, ils se débrouillaient comme ils pouvaient, avec le concours d'experts populaires comme les… karabasenn, exceptionnellement en compulsant des ouvrages appropriés : l'un de nos traducteurs a « vu » le dictionnaire de Grégoire de Rostrenen. D'après Pierre Le Roux, ils avaient aussi entre les mains des catéchismes, recueils de cantiques et autres livres en breton : « pour eux le breton écrit était une langue littéraire commune, à laquelle ils avaient toujours tendance à se conformer quand ils écrivaient ; cela est très visible chez la plupart des traducteurs : à côté des formes particulières de leur parler, que justement on leur demandait, se présentent beaucoup plus nombreuses celles de l'écriture traditionnelle[24] ».
Comment les prêtres non bretonnants parvenaient-ils alors à apprendre une langue qu'ils ne connaissaient pas et qu'on ne leur enseignait pas ? Selon F. Roudaut, « la plupart (…) le faisaient en sollicitant une fonction dans une paroisse rurale. Il ajoute même qu'ils se trouvaient dans l'obligation de le faire, s'ils désiraient poursuivre en Basse-Bretagne une carrière normale[25] ». Le faisaient-ils ? Pas toujours, puisqu'un recteur de Kergrist-Moelou, par exemple, est signalé dans un compte rendu de visite pastorale comme étant originaire de Rennes : il « ne scait pas le breton, et ne l'apprendra jamais quoiqu'il (…) l'eût promis ».
Les récalcitrants pouvaient en pâtir : l'abbé François-Marie Colin, en poste à Carhaix en 1780, « avoit promis de l'apprendre, et ne s'en est pas mis en peine. En conséquence a envoyer en paroisse françoise ». Originaire du pays gallo, J.B. Le Maux se montre longtemps réticent à apprendre le breton : quand il s'y met, en 1786, il « dezire d'etre placé en un autre endroit pour se perfectionner dans le Breton », et on le nomme à Plounévezel. Agathe-Laurent-Vincent Hamelin, seul prêtre de la petite paroisse de Trébabu en 1790, venait du diocèse de Rennes : on a retrouvé dans sa bibliothèque un recueil de cantiques et quatre catéchismes bretons. Guégan, qui sera sollicité en 1791 pour devenir l'évêque constitutionnel de Vannes, avait appris le breton lorsque, en 1778, il avait obtenu au concours la cure de Pontivy, « afin de comprendre la partie rurale de son diocèse[26] ». On ne peut mieux dire que la connaissance du breton était indispensable à l'exercice du ministère paroissial en zone bretonnante. Elle conditionne même les promotions : en 1787, il est noté « qu'il faut absolument à Mur un sujet fort qui sache le breton ».
Le français des villes
L'apprentissage du breton s'imposait donc à ceux qui ne le savaient pas. Les prêtres bretonnants, eux, étaient bilingues : l'un des objectifs de leur formation — nous venons de le voir — était de leur apprendre le français autant que le latin. F. Roudaut l'a relevé : tous les prêtres qui ont eu à comparaître en justice à la fin du XVIIIe siècle ont su s'exprimer en français[27]. Mais en Basse-Bretagne aussi, l'on prêchait en français. Dans l'évêché de Léon, par exemple, selon l'inventaire qui en a été dressé par F. Roudaut, il se donnait chaque année 5 stations françaises et une cinquantaine de stations bretonnes[28]. Les françaises étaient le fait de paroisses urbaines : le Minihy à Saint-Pol-de-Léon, Saint-Louis à Brest, Saint-Sauveur à Recouvrance, Saint-Houardon à Landerneau, Saint-Michel à Lesneven.
C'est dire que, dans toute ville de quelque importance, le français avait acquis une position importante : Brest comptait en 1775 près de 30 000 habitants et Morlaix 11 400, Saint-Pol 5 500, Landerneau 3 200 et Lesneven 2 100. C'est dans les villes que se concentrait l'élite intellectuelle de la province, que Jean Meyer évalue à quelque 7 000 personnes, dont 5 000 d'origine extraprovinciaire. Non pas tant dans les petites villes épiscopales, « villes de clercs dominées par des clercs[29] », que dans les grandes villes de Nantes, et surtout Rennes et Brest : c'est à Brest, du fait de la marine royale, que se trouvent les meilleurs mathématiciens et savants de la noblesse française.
Dans tous les évêchés, les villes étaient des centres de prédication française. Mais dans toutes les paroisses urbaines, avaient lieu aussi des stations bretonnes, que fréquentaient non seulement les citadins, mais aussi les habitants des paroisses ou trèves rurales voisines[30]. Pour l'auteur de « La prédication en langue bretonne à la fin de l'Ancien Régime », « aucune ville de Basse-Bretagne, même pas la plus grande, n'était entièrement francisée ». Lorsque, en 1692, les Capucins voulurent s'établir à Recouvrance, le corps de ville exigea qu'ils ne soient pas plus de douze, dont six seraient confesseurs « bretons ». À Brest même, à la fin du XVIIIe siècle, nombreux étaient les habitants qui ignoraient le français. Si l'on se réfère au sondage effectué sur les procédures judiciaires, 80 % des comparants originaires de villes n'ont pas besoin d'interprète, ni 70 % de ceux qui proviennent des petites villes ou gros bourgs. En ville, les 2/3 des artisans et commerçants témoignent en français.
Un siècle plus tôt, la connaissance du français était un signe de différenciation sociale. Alors que les registres paroissiaux étaient toujours tenus en latin, Alain Croix[31] a relevé dans la petite trève de Locmaria an Hent, près de Quimper, dix actes rédigés en français, entre 1599 et 1610 : le père ou le parrain des enfants baptisés s'appelle « noble homme Jean du Quélennec » ou « noble homme Charles Glezan ». Il a constaté le même phénomène à Tréméoc et Lannilis, ainsi qu'à Saint-Julien de Landerneau : ici « un 'honorable marchand' est concerné au même titre que des ‘escuyers‘ ou des ‘nobles hommes‘ (…) Le recours au français est un moyen de différenciation du commun, sa maîtrise une des composantes indispensables du statut social d'honorabilité ».
Pourtant, selon F. Roudaut, « les communautés de ville attachaient sans doute autant d'importance aux prédications dans les deux langues, car elles rétribuaient également les stationnaires bretons et français » : Saint-Pol dépense 50 livres pour chacun des Carêmes et chacun des Avents prêchés dans l'une et l'autre langue. Les réguliers sont cependant plus attirés par les prédications en français dans les paroisses urbaines, et laissent aux séculiers les stations bretonnes, moins bien rémunérées, dans les autres paroisses.
"Soit que la Haute-Bretagne veuille toujours ignorer le breton, ou que la Basse-Bretagne tâche à l'oublier…"
Ces ecclésiastiques étaient aussi les auteurs et pour une part les utilisateurs des ouvrages édités en breton. Non qu'il n'y ait eu, au XVIIIe siècle, quelques auteurs profanes, et on peut citer alors les noms de Claude-Marie Le Laé, Paul-Etienne Testard ou Pascal de Kerenveyer. Mais l'essentiel de la production écrite de l'époque n'est que de littérature religieuse. Les « grands » auteurs sont en réalité des traducteurs : Charles Le Bris dont les « Heuryou brezonec ha latin[32] » furent rééditées plusieurs dizaines de fois, Claude-Guillaume Marigo (« Buez ar Saent[33] » ), Yves Ropars, le Père Maunoir… Souvent, ils font état de leur difficulté à écrire en « une langue aussi stérile et grossière qu'est la Bretonne[34] » , mais s'ils le font, c'est, de leur propre aveu, uniquement « parce que les fidèles auxquels ils s'adressaient ne comprenaient pas d'autre langue (…) parce qu'il n'était pas possible d'éviter l'emploi de cette langue ». Une publicité de l'Évêque de Léon en 1722 pour « un nouveau livre intitulé (…) fort utile au Public et commode aux Prédicateurs bretons[35] » montre que l'édition religieuse bretonne cherche à atteindre aussi bien le clergé que les fidèles dans leur ensemble.
Un autre ouvrage fit alors la preuve de son utilité : il s'agit du « Dictionnaire et colloques François et Breton », dont la première édition fut publiée à Morlaix en 1626 à l'initiative de Quiquer de Roscoff. Signe de son succès : une édition concurrente parut en 1717, toujours à Morlaix, chez de Ploësquellec. Ces ouvrages, constamment réédités et réimprimés — jusqu'en 1915 — se présentaient sous la forme d'un guide de conversation, destiné à aider des « personnes de diuerses qualitez, ayans des affaires en ce pays de basse Bretaigne, qui n'ont l'intelligence de son vulgaire Breton, & mesme des naturels Bretons (à parvenir à) l'intelligence des deux langues par correspondances d'icelles[36] ». Mais pour Christian-J. Guyonvarc'h, ces colloques, pas plus que le « Catholicon[37] » de Jehan Lagadeuc, n'ont jamais servi à quiconque pour étudier le breton : « en dépit de quelques apparences, ou plutôt de quelques prétentions, ils ont uniquement servi à l'apprentissage du français par le breton », - et c'est ce qui a fait leur succès. Il faut donc bien les considérer comme « l'un des moyens fondamentaux du bilinguisme breton ».
Par contre, l'intérêt du public cultivé pour la langue bretonne n'est pas évident. Les ouvrages récents se félicitent généralement de l'aide apportée par les États de Bretagne à l'édition du « Dictionnaire » de Grégoire de Rostrenen en 1732. La réalité est plus nuancée. Si les États l'ont fait, c'est à la suite des plaintes de l'éditeur Vatar : « soit que la Haute-Bretagne veuille toujours ignorer le breton, ou que la Basse-Bretagne tâche à l'oublier, l'auteur, en la parcourant tout entière, n'a recueilli que 32 souscriptions[38] ». Encore les Etats ne souscrivent-ils qu'à 200 exemplaires, alors qu'ils rassemblaient un millier de députés à cette session de 1732, dont 851 nobles.
De l'ensemble de ces observations, il ressort un état de fait et la manifestation d'une tendance. L'état de fait : la Basse-Bretagne est, à la veille de la Révolution, un pays essentiellement bretonnant. La plus grande partie de la population parle le breton et rien d'autre[39]. Ces locuteurs monolingues sont des ruraux. Il n'y a qu'un paysan sur 20 qui sache aussi le français. Si la campagne est le monde du breton, la ville est celle du français. Si le breton est également pratiqué en ville, au sein des populations laborieuses, le français est la langue usuelle de la bourgeoisie. Il est par ailleurs la langue de la noblesse. Une part non négligeable, mais difficile à évaluer, de la population urbaine est bilingue, et c'est surtout le bas-clergé, bilingue d'expression, qui joue le rôle de médiateur entre les deux mondes linguistiques.
On observe une aspiration, sinon à parler, du moins à connaître le français : les collèges, mais aussi les simples « colloques », visent à répandre la connaissance du français. Les bretonnants en viennent à apprendre le français, mais les francophones se passent du breton. L'on peut dès lors étendre aux pratiques linguistiques une notion aujourd'hui couramment utilisée en économie, et considérer que les villes jouent le rôle de pôle de développement[40] en faveur du français.
L'organicisme de l'Ancien Régime
Un dernier point doit être abordé : y a-t-il eu, de la part de la royauté, une politique d'État à l'égard des langues telles que le breton ? L'Ancien Régime a la réputation d'avoir été, sur ce point, plutôt organiciste[41] , mais il ne faut pas trop se fier aux apparences. L'ordonnance de Villers-Cotterêts, interdisant l'usage du latin et prescrivant celui du « langage maternel françois », est intervenue sept ans après l'union de la Bretagne à la France, en 1532, et ce n'est qu'à compter de la fin du XVIIe siècle que « les édits qui suivent l'annexion des provinces nouvellement conquises exigent tous (…) l'emploi exclusif de la langue française[42] ». Mais, selon M. de Certeau, D. Julia et J. Revel, « ce qui compte pour la royauté, c'est moins de faire parler le français que de le faire comprendre (…) La langue française est donc le véhicule qui permet l'accession aux emplois de l'administration, l'outil qui établit la discrimination sociale ».
Pour ce qui est de la rédaction des actes administratifs, et plus particulièrement des registres paroissiaux, il y a, d'après Alain Croix, une « différence fondamentale entre les quatre diocèses entièrement francophones et les trois entièrement bretonnants[43] ». Dans les évêchés hauts bretons, les autorités épiscopales ont pris immédiatement le relais des prescriptions royales, et, dans le diocèse de Rennes, par exemple, l'ordre de passer au français est donné dès les années 1540, à l'occasion des visites pastorales. « Or, en Basse-Bretagne, le latin connaît son apogée vers 1620 seulement, au moment où il achève de disparaître en pays gallo : le décalage, de l'ordre de trois quarts de siècle, est véritablement énorme ». L'enclave doloise de Lanvellec, par exemple, n'adopte le français qu'en 1660, bien plus tard que ne l'avait fait l'évêché partout ailleurs, à la suite d'une visite pastorale : or cette date se trouve « en harmonie avec l'évolution trégorroise[44] ».
L'application de l'ordonnance de Villers-Cotterêts s'est donc faite en Basse-Bretagne, comme ailleurs, sous la pression des autorités, mais bien plus tardivement[45]. La rédaction, à partir du milieu du XVIIe siècle, des registres paroissiaux, mais aussi des différents actes administratifs, en français — et non en breton — est à la fois le respect d'une obligation légale, la confirmation du choix effectué par les élites en faveur du français ou de l'attraction qu'il exerçait sur elles, et apparaît, sans aucun doute, comme un atout décisif, à l'avenir, pour le français. Bien que son propos ne s'applique pas spécialement à la Bretagne, F. Brunot le confirme en usant d'une métaphore toute militaire : « les nécessités d'administrations multiples et compliquées obligeaient à avoir dans toutes les villes et les bourgades un nombre important de fonctionnaires, pour lesquels l'usage du français était nécessaire, au moins dans leurs écritures (…) C'était une sorte de garnison de langue française[46]…" . Il relativise son propos un peu plus loin : « en général, le français ne remplaçait pas la langue indigène dans l'usage quotidien. Les deux langages se juxtaposaient. On savait tant bien que mal le français, on usait du patois[47]…».
Le fils du secrétaire de l'Intendant Bertrand de Molleville, attribue aux représentants du pouvoir royal en Bretagne le souci d'y répandre la connaissance du français. Évoquant en 1829 le conflit entre La Chalotais et le duc d'Aiguillon, il écrit :
« le patriotisme d'un homme qui ne cherchait peut-être le bien qu'au profit du fisc et de la royauté, rencontra cet étroit patriotisme de localité si funeste au progrès des lumières. Le ministre avait raison, mais il opprimait ; la victime avait tort, mais elle était dans les fers. M. d'Aiguillon a tenté d'abattre les haies de la Bretagne, de lui donner du pain en introduisant la culture du blé, d'y tracer des chemins, des canaux[48], d'y perfectionner le commerce et l'agriculture. Que de gens de bonne foi seraient étonnés d'apprendre que la victime défendait les abus, l'ignorance, la féodalité, l'aristocratie et n'invoquait la tolérance que pour perpétuer le mal dans son pays[49] ».
Que le pouvoir royal ait songé à faire progresser la connaissance et l'emploi du français en Bretagne, sous sa forme écrite du moins, est évident. Que la résistance que lui opposait la noblesse bretonne ait eu — entre autres — pour objet de préserver la langue bretonne paraît, en tout cas, invraisemblable.
Notes
[1] Jean MEYER. Le siècle de l'Intendance (1688-1789). In : Histoire de la Bretagne / publiée sous la direction de Jean Delumeau. Toulouse : Privat, 1969. P. 345.
[2] Jean MEYER, op. cit., p. 350.
[3] COMMISION "HISTOIRE" DE SKOL VREIZH. La Bretagne province. Histoire de la Bretagne et des pays celtiques de 1532 à 1789. Morlaix : Skol Vreizh, 1986. P. 230.
[4] Jean MEYER. Recherches bretonnes : XVIe-XVIIIe siècles. In : Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, op. cit., p. 274.
[5] Jean MEYER, op. cit., p. 344.
[6] Jean-Pierre GOUBERT. Malades et médecins en Bretagne. 1770 -1790. Paris : Klincksieck, 1974. P. 463-465.
Cité par F. ROUDAUT. La prédication en langue bretonne, op. cit., p. 17.
[7] Voir supra, chapitre 2.1.3.
[8] Jean MEYER. Les informateurs de Colbert de Croissy. In : Jean KERHERVE, François ROUDAUT, Jean TANGUY. La Bretagne en 1665 d'après le rapport de Colbert de Croissy. Brest : Centre de Recherche bretonne et celtique, 1978. P. 40.
[9] Jacques GURY. A la découverte de la Bretagne dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. In : Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, op. cit., tome I, p. 396.
[10] Ferdinand BRUNOT. Histoire de la langue française des origines à nos jours. Tome VII. La propagation du français jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Paris : A. Colin, 1967. P. 266.
[11] LE PELLETIER. Dictionnaire de la langue bretonne. Paris : Fr. Delaguette, 1752.
[12] François LE LAY. Histoire du collège de Pontivy au XVIIIe siècle. Paris, 1911. P. 60. F. Le Lay est également l'auteur d'un roman en breton sur l'enfance, "Bilzig".
[13] Marie-Madeleine COMPERE, Dominique JULIA. Les collèges français. 16e-18e siècles. 2. Répertoire France du Nord et de l'Ouest / avec la collaboration de Philippe Marchand, Alain Oger, Philippe Pauchet, Martine Sonnet. Paris : INRP CNRS, 1988.
L'alphabétisation intervenait bien sûr avant l'inscription au collège, mais la Bretagne était en retard. D'après l'enquête Maggiolo, la capacité à signer se situe, dans le cadre du Finistère actuel, aux environs de 36 à 40 % pour les hommes, de 6 à 10 % seulement pour les femmes. D'après l'historien J. Quéniart, le savoir-lire serait de 39 % à Quimper et de 28 % à Brest, en 1757-58, de 31 et 35 % en 1788-89. F. Roudaut n'exclut pas une alphabétisation en langue bretonne, sans passage par le relais du français. Il en voit pour preuve le fait qu'à Spézet, par exemple, on distribuait des livres religieux en breton aux enfants qui savaient le mieux leur catéchisme.
Cité par : Jean MEYER. Conditions économiques et sociales du développement de la littérature en Bretagne. In : Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, op. cit., p. 288-289.
F. ROUDAUT. La prédication de langue bretonne…, op. cit., p. 32-33.
[14] Les collèges de Quimper et Vannes, les plus importants de Basse-Bretagne, étaient des collèges de Jésuites, avant, du moins, l'exclusion de ceux-ci. Il n'y a pas de collège dans les deux principales villes de Basse-Bretagne, Brest et Lorient.
[15] Cité par : M.-M. COMPERE, D. Julia. Les collèges français…, op. cit., p. 520. D'après : Chanoine CHATTON. Le petit séminaire de Plouguernével depuis sa fondation jusqu'à la période révolutionnaire. Saint-Brieuc, 1896. 97 p.
[16] Cité par : M.-M. COMPERE, D. Julia. Les collèges français…, op. cit., p. 665.
[17] Cité par : Jean MEYER. Conditions économiques et sociales…, op. cit., p. 285.
[18] Cité par : M.-M. COMPERE, D. Julia. Les collèges français…, op. cit., p. 539.
[19] Cité par : M.-M. COMPERE, D. Julia. Les collèges français…, op. cit., p. 665. L'intercompréhension était cependant possible, puisque, selon F. Roudaut, trois capucins du couvent de Roscoff, originaires l'un de Locronan (Basse-Cornouaille), un autre de Bothoa (Haute-Cornouaille) et le troisième de Guingamp (Trégor), donnèrent des stations bretonnes dans l'Évêché de Léon.
F. ROUDAUT. La prédication…, op. cit., p. 50.
[20] Très certainement dans le cadre des enquêtes de Coquebert de Monbret. Voir supra, chapitre 2.2.2.
[21] Daniel BERNARD, Pierre LE ROUX. Une enquête ministérielle sur les dialectes bretons sous le Premier Empire. ANNALES DE BRETAGNE, tome LX, fasc. 1, 1953, p. 79-91.
[22] Servante de presbytère.
[23] L'abbé Tanguy-Julien Tabou, né à Lesneven en 1760, estime pour sa part que "les dialectes de Léon, Quimper et Tréguier ne diffèrent pas pour le fond (…) D'une paroisse à l'autre on perçoit quelque variation peu sensible…"
[24] Daniel BERNARD, Pierre LE ROUX. Une enquête ministérielle sur les dialectes bretons…, op. cit.
Voir, infra, l'exemple du recteur de Trébabu.
[25] Le règlement diocésain de Vannes, en 1741, et une déclaration du Roi, en 1742, excluent "du Concours, pour les Cures Bretonnes, ceux qui ne savent pas cette langue".
Tous les exemples qui suivent, sauf mention particulière, sont cités par : F. ROUDAUT. La prédication…, op. cit.
[26] Claude LANGLOIS. Le diocèse de Vannes au XIXe siècle…, op. cit., p. 47.
[27] Voir supra, chapitre 2.1.2.
[28] Les stations étaient des prédications assurées à l'occasion du carême ou de l'Avent par des prédicateurs extérieurs à la paroisse, par des réguliers et surtout, en ce qui concerne les stations en langue bretonne, par des séculiers (à raison de 86% d'entre elles : 2083 sur 2418, entre 1762 et 1784). Un prêtre sur 3 ou 4 aurait prêché au moins une station. "Une élite de prédicateurs en renom (…) donnaient régulièrement des stations", le record en Léon étant détenu par un certain Corentin-Guillaume Bleunven (21 stations en 22 ans).
[29] Jean MEYER. L'environnement intellectuel de la Bretagne au XVIIIe siècle. In : Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, op. cit., p. 351.
[30] Les francophones de Saint-Martin de Morlaix toutefois, pour entendre une station française, devaient se rendre dans la partie trégoroise de la ville, Saint-Mathieu ou Saint-Melaine.
[31] Alain CROIX. La Bretagne aux 16e et 17e siècles. La vie, la mort, la foi / Préface de Pierre Goubert. Paris : Maloine, 1981. P. 29.
[32] Heures bretonnes et latines.
[33] La vie des saints.
[34] Cette citation et les suivantes sont extraites de : Fanch ROUDAUT. La littérature religieuse en breton. In : Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne. / sous la direction de Jean Balcou et Yves Le Gallo. Paris, Genève : Champion Slatkine, 1987. P. 230-243.
[35] Il est significatif que, pour les autorités épiscopales, il n'apparaissait pas nécessaire de former les futurs ecclésiastiques à la langue bretonne tant qu'ils sont au collège, mais qu'il leur paraît indispensable d'inciter le clergé, une fois en poste, à acquérir les nouveaux ouvrages religieux en breton.
[36] Cité par Christian-J. GUYONVARC'H. Du breton moyen au breton moderne : langue et littérature. In : Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, op. cit., p. 204-210.
[37] Dictionnaire breton latin français, paru à Tréguier en 1499.
[38] Cité par : Jean MEYER. Recherches bretonnes : XVIe-XVIIIe siècles. In : Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, op. cit., tome I, p. 273.
Cet auteur fait état de la supplique de l'éditeur Vatar et de la souscription des États, à la fois pour l'année 1732, et pour la grammaire de Grégoire de Rostrenen. Or 1732 est l'année de la publication du Dictionnaire de Grégoire, la grammaire n'ayant été éditée qu'en 1738. Les États consacrèrent ensuite un crédit de 7 200 F à l'achat du "Dictionnaire" de Le Pelletier, en 1750. Il s'agit encore de 300 exemplaires. Cité par : M. HABASQUE. Notions historiques, op. cit., p. 105.
[39] Les initiatives prises par trois médecins accoucheurs entre 1767 et 1789 l'attestent également. Alors que la mortalité infantile et celle des jeunes femmes étaient très fortes, les États de Bretagne, bien que sollicités, répugnèrent à mettre en place des formations à "l'Art des Accouchements" à l'intention des sages-femmes. Les médecins le firent eux-mêmes :
- le Professeurt Louis, à Saint-Pol-de-Léon, en 1767 et 1768 : "je me suis vu, écrit-il, dans l'obligation de donner mes cours dans les deux langues française et bretonne afin de les rendre intelligibles à la majeure partie de mes élèves".
- le professeur-démonstrateur d'accourchements Jacques Dubois, bien qu'originaire du Limousin, apprit le breton. Il intervient dans tous les évêchés de Basse-Bretagne de 1769 à 1789 : "ce serait en vain que l'on aurait les talents les plus distingués si l'on n'a pas la connaissance de la langue bretonne". Il conçoit un projet d'enseignement de l'obstétrique, précisant qu'"il faudrait que ces démonstrateurs sussent bien le breton".
- le médecin du roi pour l'hôpital de Morlaix, Bouestar de la Touche, publie à ses frais en 1774 en français et en breton des "Instructions succintes sur les accouchemens en faveur des sages-femmes des provinces" (conservé aux Archives départementales d'Ille-et-Vilaine).
De ce fait, et en raison des éditions religieuses dont nous avons fait état, le XVIIIe siècle est aussi pour une part celui d'une expression écrite en breton.
Voir : Dr Henri STOFFT. Utilisation de la langue bretonne pour la formation professionnelle des sages-femmes au XVIIe siècle. DALC'HOMP SONJ, n° 9, 1984, p. 11-17, ill.
[40] Pôle de développement : "région industrielle ou secteur d'activité exerçant un rôle d'entraînement sur le développement de l'économie". Petit Larousse illustré. Paris : Larousse, 1988. P. 781.
[41] "L'organicisme linguistique consiste à considérer la langue comme un être vivant, se suffisant à lui-même et sur lequel aucune intervention n'est possible ni souhaitable". J.B. MARCELLESI. De la crise de la linguistique…, op. cit., p. 14.
Que l'Ancien Régime ait laissé faire, c'est en particulier la conviction de F. Brunot : "La question de langue n'existait pas aux yeux des maîtres d'alors. Il en résulta que les choses, faute d'être dirigées, allèrent librement leur train, plus vite ici, plus lentement là, au hasard des poussées et des résistances." F. BRUNOT. Histoire de la langue française, op. cit., tome VII, p. 2.
Les cas d'emploi du breton dans les actes publics avant la Révolution semblent assez rares. Daniel Bernard a signalé une supplique de 1780 des habitants de la paroisse de Saint-Gilles d'Hennebont à l'Intendant de Bretagne : le général "avait écrit en français et en breton à cause que plusieurs d'entre nous ne scai pas le français et à cause de dire tous les douze la même chosse et vérité." D. Bernard commente l'initative en ces termes : "les délibérants de la paroisse s'imaginaient sans doute que le représentant du pouvoir royal dans la province, étant Intendant de la Basse aussi bien que de la Haute-Bretagne (…) devait connaître le breton, ou du moins qu'il avait un traducteur dans ses bureaux. Grande était leur erreur, mais la logique éclate dans leur naïveté". Daniel BERNARD. Le breton dans les actes publics. Brochure non datée, conservée au CRBC, 18 p.
[42] Michel de CERTEAU, Dominique JULIA, Jacques REVEL. Une politique de la langue. La Révolution française et les patois. Paris : Gallimard, 1975. P. 9. Les citations suivantes sont des pages 9-10. Les provinces concernées furent la Flandre maritime en 1684, l'Alsace en 1685, le Roussillon en 1700, la Lorraine allemande en 1748 et la Corse en 1768.
[43] Alain CROIX. La Bretagne aux 16e et 17e siècles…, op. cit., p. 29-30.
[44] Il est curieux d'observer que cet usage tardif du latin pour la rédaction des registres paroissiaux en Basse-Bretagne correspond, chronologiquement, aux plaidoyers dont nous avons fait état pour le début du XVIIe siècle, notamment celui de l'abbé de Landévennec en 1616, proposant l'ouverture d'un collège à Quimper, pour y apprendre "la langue française avec la latine".
Il ne suffit pas de constater cet usage tardif du latin. Peut-on l'interpréter comme une hésitation du clergé bas breton à adopter pour la rédaction des registres une langue qui ne serait pas plus comprise que le latin ? Une recherche spécifique serait, si possible, à mener sur la question. A. Croix fournit deux citations intéressantes à ce sujet : en 1643, selon le curé de Saint-Julien de Landerneau, François Kerian, l'évêque consulté "a déclaré estre plus expédiant de descrire (les baptêmes) en langage françois pour le contentement de chacun"; en 1632, à Brasparts, la rédaction des registres se fait désormais en français, afin "qu'un chacun entende l'escripture" (souligné par nos soins).
Le français apparaît très tôt comme une langue de prestige, tout au moins pour l'élite : de 1599 à 1610, A. Croix signale à Locmaria an Hent, près de Quimper, une dizaine d'actes en français dans un registre entièrement en latin, le père ou le parrain des enfants baptisés étant toujours "noble homme Jean du Quélennec". Des cas analogues sont repérés à Tréméoc, Lannilis, Landerneau…
Alain CROIX. La Bretagne aux 16e et 17e siècles…, op. cit., p. 29-30.
[45] L'ordonnance signée par François 1er à Villers-Cotterêts est fréquemment interprétée comme ayant été une machine de guerre à la fois contre le latin et contre les langues locales, et comme ayant dès lors entamé la politique qui serait confirmée plus tard par la Révolution à l'encontre de ces dernières. Pour Henry Peyre, qui s'appuie sur les juristes du XVIe siècle, une telle interprétation est anachronique. Le texte de Villers-Cotterêts ne fait que prolonger d'autres ordonnances antérieures, promulguées depuis déjà près de 50 ans, sur la même question. Selon H. Peyre, en 1539, François 1er "réitère formellement l'interdiction du latin et l'étend à tous les actes de justice, "ou qui en dépendent". Rien de plus" (…) En 1539, l'évolution de la lutte contre le latin est achevée dans les textes, non en pratique".
Mais pour le même auteur, l'ordonnance de Villers-Cotterêts ne touche pas aux idiomes locaux. Il faut, dit-il, comprendre l'expression "langage maternel françois" non pas comme "langage français", mais comme "langage maternel de France", le mot "français" n'ayant pas au XVIe siècle le sens univoque qu'il acquiert au XIXe. "Il n'y avait pas langage maternel français, mais langages maternels français". Dans le cas de la Bretagne, écrit H. Peyre, "c'eût été absurde. L'administration royale n'avait rien à changer à la tradition de l'administration ducale qui employait le breton à côté du français; tandis que le français servait seul à la rédaction des actes, le breton était utilisé dans les débats et les publications".
Henry PEYRE. La royauté et les langues provinciales. Paris : Les presses modernes, 1933. P. 58-91.
[46] F. BRUNOT. Histoire de la langue française, op. cit., tome VII, p. 186-187.
[47] Id, p. 319. Brunot s'appuie ici sur une citation de Bullet, auteur en 1754-60 d'un "Mémoire sur la langue celtique", écrivant : "certaines provinces du Royaume ont des jargons fort différens du langage commun. Les Habitants de ces contrées, outre leur patois auquel ils sont accoûtumés, entendent le François…"
[48] C'est nous qui soulignons.
[49] Cité par Jean MEYER. Le siècle de l'Intendance, op. cit., p. 345-346.
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