La pratique du breton de l'Ancien Régime à nos jours
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La thèse de Fañch Broudic en accès libre
La Révolution française et les idiomes
Chronologie des votes relatifs aux idiomes
Il n'est sans doute pas superflu de commencer par établir la chronologie des principales décisions votées par les assemblées révolutionnaires concernant les problèmes linguistiques[1] :
Ce sont là les dates principales auxquelles des décisions concernant la langue bretonne ont été prises. En réalité, sous la Révolution française, il en a été débattu à de multiples reprises, et la question, telle qu'elle est relatée par Ferdinand Brunot dans son Histoire de la langue française, doit même être considérée comme récurrente[9]. Il importe d'en analyser les données.
Associer la masse des citoyens à la Révolution
Pourquoi l'Assemblée décide-t-elle en janvier 1790 de faire traduire ses décrets ? Ferdinand Brunot en donne cette interprétation un siècle et quelque plus tard :
« la monarchie avait pu gouverner pendant des siècles en demandant à ses sujets d'obéir et de payer. Ses ordres, les actes de ses agents, appuyés sur une autorité traditionnelle et indiscutée, proclamée à l'occasion d'origine divine, n'avaient besoin d'aucune adhésion volontaire. Tout au contraire, la loi nouvelle, quoique votée au nom du peuple et par ses représentants, n'avait de chance de s'imposer qu'avec l'assentiment de l'opinion. Il eût été contraire à l'esprit même de la démocratie qu'on prétendait instituer et aux principes de gouvernement qu'on posait, de faire des réformes, fussent-elles des plus bienfaisantes, sans les faire connaître, sans en exposer l'économie et les motifs aux citoyens « actifs « et même « passifs « . C'était aussi le moyen d'éviter les plus graves malentendus[10] ».
C'est ce que, dans la terminologie d'aujourd'hui, l'on définirait sans doute comme un problème de communication. Au début de l'année 1790 – moins d'un an après la première réunion des États généraux et après la prise de la Bastille - nombreuses sont déjà les décisions de la Constituante, qui transforment l'organisation sociale, et dont les répercussions sur la vie quotidienne des nouveaux citoyens sont considérables : nuit du 4 août, déclaration des droits de l'homme (le 26 août), la confiscation des biens du clergé comme biens nationaux (2 novembre), etc. L'on peut penser que ces répercussions ont été telles qu'elles aient pu ébranler l'enthousiasme né de la rédaction des cahiers de doléances, et que pour maintenir l'élan révolutionnaire, il fallait pouvoir continuer à compter sur « l'assentiment de l'opinion ».
Tout s'est passé comme si la Révolution française à ses débuts avait voulu, dans un premier temps, associer pleinement la masse des citoyens non francophones à son développement[11], puis, dans un deuxième temps, compenser par la diffusion d'écrits et de textes de référence en breton (et en d'autres « idiomes vulgaires ») le manque d'adhésion spontanée dont commençait à souffrir le mouvement révolutionnaire lui-même. On en veut pour preuve l'intervention inquiète de Grégoire le 9 février 1790, pour qui
« dans certains pays des troubles graves s'expliquaient par d'énormes erreurs sur le sens des mots, des paysans prenant les décrets de l'Assemblée nationale pour des décrets de prise de corps[12] ».
La Révolution butait donc sur l'évidente existence de parlers autres que le français – des parlers qui étaient le langage usuel de la majeure partie de la population dans des régions entières et, au total, celui de 80 % de la population française. Mais la politique linguistique qu'elle définit à ses débuts - comme toutes les initiatives politiques qu'elle prend en d'autres domaines - marque une rupture par rapport à l'Ancien Régime : c'est la première fois dans l'histoire qu'en France les pouvoirs publics tiennent compte ainsi des usages linguistiques au profit des langues autres que le français. Il est d'ailleurs tout à fait significatif d'observer que le Roi prend l'initiative, lui, d'opposer son veto au nouveau décret[13].
Cette rupture est plus que de tolérance vis-à-vis des « idiomes vulgaires » : elle aboutit même à leur promotion comme moyen d'expression – et singulièrement comme mode d'expression politique - au même titre que le français. Significative est à cet égard l'argumentation avancée par Bouchette, député de Bailleul, qui avait déjà traduit diverses lois en flamand : c'est lui qui, en janvier, supplie le pouvoir exécutif de faire publier les décrets de l'Assemblée dans les différents idiomes de France : « Ainsi tout le monde va être le maître de lire et écrire dans la langue qu'il aimera le mieux et les loix françaises seront familières pour tout le monde[14] ». Il ne s'agit pas d'une sorte d'officialisation du parler breton – il est important de le préciser pour la suite des événements - mais le désir des nouvelles instances de mieux faire connaître et comprendre leur action aboutit à la mise en œuvre d'une vigoureuse politique de traduction, au bénéfice des « idiomes vulgaires[15] ».
Renée Balibar et Dominique Laporte[16] commentent très justement ces initiatives :
« première mesure touchant directement au problème des échanges linguistiques, la traduction des décrets fut indéniablement une décision politique. Elle apparaît à la fois comme le symptôme de l'importance accordée à la question et comme une première tentative en vue de la résoudre ».
Ces deux auteurs poursuivent en prétendant qu'il est cependant « difficile, sur cette seule base, de créditer la Constituante du mérite d'une politique inaugurale si l'on songe à ce que fut, sous la Convention, la politique de la langue ». Mais la référence ne doit pas être seulement la politique qui sera suivie par la suite, elle doit aussi prendre en compte celle qui a été suivie jusque là, ainsi que le temps pendant lequel les nouvelles mesures ont été mises en œuvre. Si l'on en croit Balibar et Laporte, les décisions de l'Assemblée de faire traduire ses décrets n'auraient été qu'une courte parenthèse qu'il n'y aurait qu'à passer par pertes et profits, avant la définition par la Convention jacobine d'une nouvelle politique, distincte de la précédente, « à la fois (…) plus radicale et (…) plus conséquente ».
Or, la Convention nationale à ses débuts – elle est alors girondine - ne rompt pas avec la pratique qui a été définie par l'Assemblée : fin 92, elle veut même « accélérer » la traduction des décrets en « idiomes vulgaires, basque, bas-breton, etc[17]… ». Un projet de décret avait été élaboré pour organiser ce travail de traduction « en langue allemande, italienne, castillane, basque et bas-bretonne[18] », sur place, dans chaque département, sous l'autorité d'un « chef de traduction », et sous la surveillance des directoires. Le 20 juin 1793, puis le 27 juillet, le Comité de salut public lui-même revient sur la question des traductions, en raison de motivations et d'objectifs qu'il précise.
Nous avons déjà cité une partie de ce texte en début de chapitre : aux yeux du Comité, c'est en raison de la méconnaissance du français « dans quelques départements » que « des égarements » s'y produisent. Or,
« il importe que l'opinion de tous les citoyens soit éclairée au moment où ils vont tous être appelés à donner leurs suffrages sur le projet d'acte constitutionnel, où les ennemis de la liberté redoublent leurs efforts pour diviser les esprits et faire perdre de vue l'intérêt général ».
Le Comité de salut public demande donc au ministre de l'Intérieur « d'établir incessamment un bureau de traduction, qui traduira en allemand, en italien, en bas-breton et en basque les lois, Bulletin de la Convention nationale, proclamations et autres pièces (…) », afin de pouvoir les envoyer aux municipalités[19].
La Terreur linguistique, mais… une "politique de francisation" plus prudente qu'il n'y paraît
C'est seulement six mois plus tard – dans un contexte en rapide transformation - qu'à la suite du rapport présenté par Barère, le fameux décret du 8 pluviôse est adopté. Balibar et Laporte interprètent les nouvelles décisions comme le passage d'une politique de « traduction » à une politique de « francisation » : « le problème de la langue en démocratie bourgeoise n'a(vait) pas été posé réellement (au niveau de l'État) avant l'intervention jacobine (…), poser le problème c'était le poser dans la question de l'uniformisation ». Or que décide concrètement le décret du 8 pluviôse an II ? Tout d'abord de nommer dans les dix jours « un instituteur de langue française dans chaque commune de campagne » des cinq départements bretons[20]. En fixant un délai de dix jours pour la mise en œuvre du décret, les Conventionnels témoignent de l'urgence que présente à leurs yeux la question linguistique. Mais ils sont également bien conscients que la mesure qu'ils adoptent ne peut avoir d'effet qu'à terme. La preuve en est la double mission fixée tant aux futurs instituteurs qu'aux sociétés populaires existantes : procéder à « la traduction vocale » des décrets et des lois de la République, « faire connaître la langue française dans les campagnes les plus reculées ».
Balibar et Laporte, tout occupés à la théorisation du processus révolutionnaire en matière de langue, mais sans guère se référer aux pratiques ou aux réalités linguistiques concrètes sur le terrain, analysent cette nouvelle politique comme étant une politique de « francisation à outrance succéd(ant) à la traduction des décrets ». Que l'objectif visé par la Convention jacobine ait été de propager l'usage du français est indéniable : elle n'aurait pas envisagé, autrement, de nommer des instituteurs de langue française en pays bretonnant. Il y a donc bien volonté de francisation. Ceci étant, elle n'est pas dirigiste - ne pouvant ou ne voulant pas l'être, peu importe - puisqu'elle laisse aux sociétés populaires le soin de définir elles-mêmes localement le moyen de diffuser le français dans les campagnes.
Car les jacobins, toute radicale qu'ait été leur politique, aussi tranchées qu'aient été leurs motivations, sont réalistes et ne se font pas d'illusions. Ils pressentent bien qu'en matière de langue, les transformations ne peuvent pas s'effectuer par décrets. Il n'y a donc pas, de leur part, abandon de la politique de traduction inaugurée par la Constituante, il y a seulement un changement du mode d'intervention : au lieu d'être diffusés sous forme d'écrits, les lois et décrets de la République seront désormais traduits de vive voix, « vocalement ». Pour R. Balibar et D. Laporte, il ne s'agirait là, en somme, que d'une concession des jacobins, « le trait d'union de deux politiques », annonciatrices du décret du 2 thermidor – une semaine avant la chute de Robespierre - lequel va imposer l'usage du français, à l'exclusion de toute autre langue ou idiome, dans tous les actes publics écrits dans quelque partie que ce soit de la République.
Quelques observations complémentaires doivent être formulées sur cette politique que Balibar et Laporte n'ont cependant pas tort, après Brunot, de qualifier de « terreur linguistique[21] ». Tout d'abord, en imposant le français pour la rédaction des actes publics, les Conventionnels n'innovent pas et, tout en croyant rompre avec le passé, ils ne font qu'actualiser l'ordonnance de Villers-Cotterêts signée par François 1er deux siècles et demi plus tôt, non pas d'ailleurs contre les idiomes locaux, mais contre le latin : même sous la Constituante, il n'avait pas été question de les rédiger en breton, par exemple, et sous l'Ancien Régime, cela n'avait pas été davantage le cas.
Au bout du compte, la politique linguistique de la Convention, même au plus fort de la Terreur, reste prudente : à analyser strictement le contenu des décrets qu'elle a votés, l'on voit bien que la francisation dont elle définit la perspective n'est pas du tout « à outrance ». Les députés restent bien en retrait par rapport aux mesures extrémistes envisagées localement en Alsace (interdiction de l'allemand, déportations de masse de la population germanophone, exécutions…). La traduction « vocale » décidée le 8 pluviôse – « pour une intelligence plus facile dans les premiers temps », explique Barère lui-même dans son rapport - n'était probablement pas tout à fait inadaptée aux réalités du moment : en Basse-Bretagne, les bretonnants n'avaient pas tous été touchés par l'alphabétisation, bien au contraire.
Surtout, lorsque Grégoire présente son projet « sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois », il subit un échec : aucune mesure autre que la diffusion de son rapport n'est adoptée par la Convention[22]. Celle-ci ne le suit jamais quand il préconise l'élimination des « patois » : Barère avait fait écarter sa proposition d'étendre à tous les patois les mesures qu'il avait lui-même préconisées à l'égard du bas-breton et des autres idiomes ; cette fois, le bref décret qui est adopté n'en fait même pas mention et ne songe qu'à « uniformer » la langue française. En adoptant la loi Lakanal sur l'enseignement, le 27 brumaire an III, la Convention, devenue thermidorienne il est vrai, concilie à la fois l'objectif qu'il lui paraît indispensable d'atteindre de diffusion de la langue nationale, et l'existence concrète des parlers locaux. L'enseignement sera donc dispensé « en langue française », mais « l'idiome du pays » n'en sera pas exclu.
D'où vient, alors, que l'on puisse néanmoins parler de « terreur linguistique » ? Il y a, en réalité, un décalage considérable entre les décisions effectives de la Convention et le discours des jacobins. Les historiens et les hommes politiques des XIXe et XXe siècles ont été marqués par leurs diatribes en faveur d'une langue nationale unique, et F. Brunot n'a pas tort d'écrire que si Grégoire, par exemple,
« n'a pas inventé (cette) idée, il l'a du moins personnifiée. Il est un de ceux auxquels on doit ce qui n'a jamais plus été perdu complètement de vue : une politique de la langue[23] ».
Que disent Barère et Grégoire, à six mois d'intervalle, en 1794, en pleine période de guerre étrangère et de soulèvements intérieurs, c'est-à-dire au moment où la Révolution doit se battre sur tous les fronts ? Leurs propos sont peut-être connus, mais il n'est pas inutile de les rappeler.
Barère : "Le législateur parle une langue que ceux qui doivent exécuter et obéir n'entendent pas"
Reproduisons les principaux passages de l'intervention de Barère[24] concernant la langue bretonne, qu'il faut considérer comme un document capital :
Quand "les idiomes deviennent un danger"
Barère est donc hanté par l'idée que les Bretons bretonnants, ne connaissant pas le français, ne comprennent rien aux nouvelles lois promulguées par la Révolution, et c'est la raison pour laquelle il suggère de nommer dans chaque commune un instituteur de langue française, dont la vocation – on ne l'a pas assez observé - sera double : enseigner, certes, le français aux enfants ; mais aussi, chaque décadi, traduire vocalement les nouvelles lois de la Convention. Et c'est parce que la connaissance « exclusive[27] » du breton et la méconnaissance du français peuvent conduire les locuteurs à l'« erreur » sur le sens de la Révolution qu'il veut « casser » les idiomes[28]. Le propos n'est pas tout à fait nouveau. C'est en fait Talleyrand qui, le premier, en proposant en septembre 1791 à la Constituante de développer l'instruction populaire, estime que
« les écoles primaires vont mettre fin à cette étrange inégalité : la langue de la Constitution et des lois y sera enseignée à tous ; et cette foule de dialectes corrompus, dernier reste de la féodalité, sera contrainte de disparaître ; la force des choses le commande[29] ».
C'est d'ailleurs dans le cadre des très nombreux débats que les assemblées successives consacrèrent à la question de l'école qu'il fut aussi débattu des aspects linguistiques qu'elle revêtait. Le décret présenté par Lanthenas en novembre 1792 définit en son article 3 que « dans les contrées où l'on parle un idiome particulier, on enseignera à lire et à écrire en français ; dans toutes les autres parties de l'instruction, l'enseignement se fera en même temps en langue française et dans l'idiome du pays, autant qu'il sera nécessaire pour propager rapidement les connaissances utiles[30] ».
Celui du 30 vendémiaire an II (21 octobre 1793) stipule que les enfants « apprennent à parler, lire et écrire la langue française », précisant même, dans un article additionnel, que « dans toutes les parties de la République, l'instruction ne se fait qu'en langue française[31] ». En même temps, la finalité de cet enseignement est clairement affirmée comme devant contribuer à l'intercompréhension sur tout le territoire de la République :
« l'enseignement public est partout dirigé de manière qu'un de ses premiers bienfaits soit que la langue française devienne en peu de temps la langue familière de toutes les parties de la République[32] ».
C'est en réalité en raison de ce que Brunot appelle l'« embarras des représentants en mission » que « les idiomes deviennent un danger » et sont déclarés « suspects[33] ». Ces représentants, munis de pouvoirs extraordinaires pour intervenir au nom de la Révolution, étaient rarement envoyés dans leur département d'origine : s'il en est cependant qui eurent l'occasion de se servir des parlers locaux dans le cadre de leur mission, la plupart d'entre eux – en Alsace, en Basse-Bretagne, ailleurs - ne comprenaient pas tout ce qu'on leur disait, et ne parvenaient pas à se faire comprendre de tous.
Ils observaient également que ceux qui ne s'exprimaient pas dans la langue nationale n'avaient pas suivi le rythme de la Révolution. Ainsi, ce rapport de Prieur de la Marne, depuis Brest : « en général les villes sont patriotes, mais les campagnes sont à cent lieues de la Révolution, et tout jusqu'à leur maintien, leurs costumes, et surtout leur langage annonce assez qu'il faudra de grands efforts pour les mettre à la hauteur[34] ». Son homologue dans le Morbihan, Bouret, veut faire preuve de patience autant que de perspicacité :
« je n'ai pas cessé de vous dire (…) que les progrès de l'instruction étaient lents, et qu'un peuple ignorant et fanatique ne changerait pas de mœurs et d'opinion dans si peu de temps, surtout quand il avait un idiome qui lui était propre, ce qui était un moyen puissant pour ceux qui étaient intéressés à alimenter son fanatisme et à l'entretenir dans ses erreurs[35] ».
Il est bien exact que le clergé réfractaire, largement majoritaire, se servait du breton dans ses relations avec la population rurale de Basse-Bretagne, comme il le faisait avant la Révolution et comme il le fera ensuite[36] : les révoltes de la chouannerie pourtant se sont peu développées en pays bretonnant, mais on ne peut considérer celui-ci comme ayant été favorable au mouvement révolutionnaire. Barère considère dès lors que « ces jargons barbares et ces idiomes grossiers (…) ne peuvent plus servir que les fanatiques et les contre-révolutionnaires ». Son opinion sur la question des traductions a donc changé, puisque 15 mois plus tôt, le 6 novembre 1792, c'est lui qui était intervenu à la Convention pour demander fermement l'exécution des traductions (écrites), en insistant pour que les moyens nécessaires soient accordés à cette tâche[37].
Tout se passe donc comme si le représentant du Comité de salut public avait désormais changé de tactique : ne pouvant s'opposer à la contre-révolution sur le terrain linguistique – bien qu'il continue à préconiser la traduction « vocale » des décrets - il semble abandonner et laisser l'usage des parlers régionaux aux forces antirévolutionnaires, et cherche à les contourner par un nouveau dispositif consistant en la mise en place d'un enseignement de la langue française – ce qu'il n'avait pourtant pas les moyens de faire. Mais s'il faut constater que parmi les révolutionnaires, on n'exclut pas l'utilisation du breton pour faire connaître oralement les lois de la République, aucun bretonnant ne semble s'être manifesté pour souligner le parti que la Révolution aurait éventuellement pu retirer d'un usage plus étendu de la langue bretonne[38]. Parmi leurs adversaires en tout cas, la conception que l'on en avait restait tout aussi utilitaire : il n'existe aucun texte contre-révolutionnaire qui propose d'établir le breton comme langue d'une école à laquelle ils n'aspiraient d'ailleurs pas, comme langue de l'administration ou comme langue nationale. En aucun cas, le breton, à terme, ne serait gagnant.
L'analyse de Barère recèle quelques contradictions. C'est par crainte d'une nouvelle Vendée qu'il veut établir des instituteurs de langue française dans les campagnes bretonnes : mais la Vendée n'est pas une région à idiome particulier. Il reconnaît que les Basques « malgré la différence de langage et malgré leurs prêtres, sont dévoués à la République » : une langue autre que le français n'est donc pas en soi synonyme de contre-révolution. Barère pourtant veut leur imposer l'apprentissage du français. La traduction des premières lois « dans les divers idiomes parlés en France », outre qu'elle a été, selon lui, coûteuse, a pour conséquence de les perpétuer, « comme si c'était à nous à (les) maintenir » : il n'empêche que le décret qu'il propose à la Convention prévoit de continuer à en assurer la traduction « vocalement » - ce qui sera assurément moins dispendieux, mais ne contribuera pas à leur affaiblissement rapide.
Sur le fond, Barère manifeste sa préférence pour « des instituteurs de notre langue que (pour) des traducteurs d'une langue étrangère ». Le rapport qu'il présente au nom du Comité de salut public n'est pas seulement une diatribe contre les idiomes, il est aussi l'affirmation de la prééminence de la langue française. Les arguments du rapporteur sont de plusieurs ordres :
La langue de la liberté, du commerce et des affaires, selon l'abbé Grégoire
L'argumentation de Grégoire[40] n'est pas exactement la même[41]. Il faut dire que son approche de la question ne correspond pas à l'idée que l'on s'en fait[42]. Il a diffusé, en 1790, son questionnaire relatif « aux patois et aux mœurs des gens de la campagne[43] ». Michel de Certeau souligne avec justesse la manière dont ce questionnaire, associant une enquête scientifique à une analyse d'opinion, impliquait un projet politique : « sa première partie visait la description des patois ; la seconde, leur destruction, mais en n'avouant qu'à demi son objectif[44] ». La cause semble donc, dès le départ, entendue. Il est dès lors d'autant plus surprenant d'observer que Grégoire était, en novembre 1792, membre de la Commission de traduction, et qu'à ce titre il contribua à l'élaboration d'un projet de décret stipulant que « les lois (seraient) traduites en langue allemande, italienne, castillane, basque et bas-bretonne[45] ».
En mission à Nice en 1793, en compagnie d'un certain Jagot, c'est en deux langues, français et italien, qu'il fit imprimer
« procès-verbaux, proclamations, instructions et arrêtés concernant le renouvellement des municipalités, la démarcation des districts, les assemblées primaires et électorales, la convocation des électeurs, l'organisation des bataillons volontaires, une proclamation à leurs collègues pour le recrutement, etc…, des ouvrages destinés à combattre l'aristocratie, à vivifier l'esprit public[46] ».
Quelques jours avant de présenter devant la Convention son rapport sur les patois, le Comité d'Instruction publique le chargea, le 11 prairial an II (30 mai 1794), de vérifier si les traductions décidées par décret s'effectuaient. Alors qu'on le crédite d'avoir voulu anéantir les patois, Grégoire s'est donc préoccupé de mettre les textes révolutionnaires à la portée de non-francophones. Doit-on considérer son comportement comme contradictoire ? D'après Brunot, c'est le signe que l'« on entendait combiner des moyens d'action qui ne s'excluaient pas : se servir des idiomes en attendant, faute de mieux, et former en même temps des générations qui connussent le français[47] ». Les convictions de Grégoire auraient-elles évolué avec le temps ?
Dans son rapport du 16 prairial[48], l'abbé Grégoire insiste sur tous les désavantages que présente à ses yeux la politique des traductions :
« vous multipliez les dépenses[49], en compliquant les rouages politiques, vous en ralentissez le mouvement : ajoutons que la majeure partie des dialectes vulgaires résistent à la traduction ou n'en promettent que d'infidèles ». Plus loin, il admet l'intérêt circonstanciel de la traduction : « si cette traduction est utile, il est un terme où cette mesure doit cesser, car ce serait prolonger l'existence des dialectes que nous voulons proscrire, et, s'il faut encore en faire usage, que ce soit pour exhorter le peuple à les abandonner ».
Le texte de Grégoire fut effectivement traduit en italien, mais apparemment pas en breton.
Alors que Barère ne s'intéressait qu'aux idiomes « périphériques », l'abbé Grégoire est préoccupé par tous les parlers autres que le français, et il use du terme « patois » pour les désigner, que ce soit le bas-breton, le normand, le lyonnais, le béarnais, etc., et même l'italien ou l'allemand, parce qu'ils sont « très dégénérés » :
« nous n'avons plus de provinces, et nous avons encore trente patois qui en rappellent les noms (…) Nous sommes encore, pour le langage, à la tour de Babel, tandis que pour la liberté, nous formons l'avant-garde des nations ».
Grégoire pourtant est bien conscient que l'on ne peut aboutir du jour au lendemain à un changement de langue, mais il se montre optimiste : « sans pouvoir assigner l'époque à laquelle ces idiomes auront entièrement disparu, on peut augurer qu'elle est prochaine ». Il n'est pas convaincu que l'on puisse parvenir à réduire le nombre des langues, sauf… en France :
« quoiqu'il y ait possibilité de diminuer le nombre des idiomes reçus en Europe, l'état politique du globe bannit l'espérance de ramener les peuples à une langue commune (…) Une langue universelle est, dans son genre, ce que la pierre philosophale est en chimie. Mais au moins on peut uniformer le langage d'une grande nation, de manière que tous les citoyens puissent sans obstacle se communiquer leurs pensées ».
Ce sont là les convictions profondes de Grégoire : pour lui aussi, le français est la langue de la liberté, mais elle est en outre celle du commerce et des affaires :
« tant de jargons sont autant de barrières qui gênent les mouvements du commerce et atténuent les relations sociales (…) C'est surtout l'ignorance de l'idiome national qui tient tant d'individus à une grande distance de la vérité (…) Pour perfectionner l'agriculture et toutes les branches de l'économie rurale, si arriérées chez nous, la connaissance de la langue nationale est également indispensable (…) Pour extirper tous les préjugés, développer toutes les vérités, tous les talents, toutes les vertus, fondre tous les citoyens dans la masse nationale, simplifier le méchanisme et faciliter le jeu de la machine politique, il faut identité de langage ».
On ne peut mieux dire que la liquidation des « patois » est, aux yeux de la bourgeoisie révolutionnaire au pouvoir, la condition de la réalisation de l'unité nationale, en même temps que celle de la création d'un marché national. Alors que le discours de Barère se référait essentiellement à l'actualité politique du moment, celui de Grégoire apparaît de nature plus idéologique et vise à plus long terme.
Nous avons déjà dit qu'il y avait un décalage considérable entre les décisions effectives de la Convention et le discours des jacobins. La seule décision qui suivit le rapport de Grégoire fut, en fait, que la Convention, dans une adresse aux Français, mit « l'idiome de la liberté à l'ordre du jour ». Ferdinand Brunot lui-même reconnaît qu'il s'agissait là de « mesures bien anodines[50] », mais il n'explique en rien pourquoi, si ce n'est qu'il y avait dans le texte de Grégoire, admet-il, « de la déclamation et des outrances[51] ». D'où provient donc ce décalage entre le discours et la pratique ? Nous nous permettons d'avancer deux éléments de réponse.
S'il n'était pas difficile, dans l'élan de la Révolution, d'imaginer une politique de la langue, il était beaucoup moins aisé de la mettre en œuvre. La politique linguistique de la Révolution française doit, à cet égard, être mise en parallèle de sa politique scolaire : ni l'une ni l'autre n'ont abouti aux résultats escomptés. Nous nous séparons ici des conclusions de Balibar et Laporte, pour lesquels « une contradiction manifeste oppose les résultats de la politique linguistique aux résultats de la politique scolaire des Assemblées révolutionnaires », la première aurait eu « des effets immédiats », la seconde n'aurait existé « que sur le papier pour les organes de base[52] ». Or, si la connaissance du français avait progressé tout au moins dans certains milieux, les idiomes n'étaient absolument pas éliminés, et la Terreur linguistique n'aboutit donc pas aux résultats qu'elle escomptait.
Les discours jacobins : une fonction incantatoire, une marque de rupture
Il faut se souvenir par ailleurs du moment où sont intervenus Barère et Grégoire, en pleine période de menaces extérieures et intérieures, sous le règne de la Terreur. Leurs interventions n'ont-elles pas eu, du coup, une fonction incantatoire ? Pendant la Révolution, l'État n'était pas en mesure d'avoir prise sur les réalités linguistiques : il ne pouvait pas obliger les gens à s'exprimer dans une langue qu'ils ne comprenaient même pas – et de là proviennent les « outrances » envisagées par Grégoire : « pourquoi les futurs époux ne seraient-ils pas soumis à prouver qu'ils savent lire, écrire et parler la langue nationale[53] ? ». Par ailleurs, l'appareil scolaire n'avait pas été mis en place ; l'Église était déstructurée ; il n'y a eu, en Basse-Bretagne du moins, que des velléités de presse en breton[54]… Le pouvoir d'État ne peut donc songer qu'à transformer sa propre pratique, dans un domaine où il en a une, et c'est la raison pour laquelle il décide de passer d'une politique de traductions écrites à une autre de traduction vocale, tout en formulant l'hypothèse qu'il ne soit bientôt plus procédé à aucune traduction, et tout en affirmant la nécessité d'une langue unique.
L'historien Michel de Certeau n'est pas loin de cette analyse, quand il avance l'idée selon laquelle…
« au corps imaginaire du roi qui, sous l'Ancien Régime, avait valeur de mythe susceptible de faire symboliser entre elles des pratiques sociales, se substitue sous la Convention un corps de langage, affecté au rôle, mythique et opératoire, d'articuler la Nation comme système propre (…) La langue remplit et circonscrit le lieu politique. Là où l'attachement ’féodal’ au roi et l'attachement naturel à la terre sont remplacés par un attachement politique à une collectivité à créer, là où il n'y a plus ou pas encore de référence avouable au sol, à la tradition ou à une histoire propre, c'est le langage qui doit prendre en charge la symbolisation nécessaire du patriotisme (…) Fonder une nation et lui faire un langage ne constituent qu'une même tâche politique[55] ».
Le discours des jacobins marque effectivement une rupture par rapport à la pratique définie préalablement par la Révolution, mais elle est uniquement idéologique. La Convention n'a pas les moyens de substituer, comme il lui est suggéré, la langue française aux patois. C'est la raison pour laquelle Barère, tout en désirant mettre en place des instituteurs de langue française dans les pays à idiome comme la Basse-Bretagne, continue à préconiser la traduction vocale des décrets de la République. Mais cette période de six mois de l'année 1794 pendant laquelle finit de s'élaborer le concept selon lequel « la langue (est) partie intégrante de la nation moderne[56]» aura pour l'avenir des répercussions fondamentales. La politique linguistique de la Révolution française se révèle, en dehors des schématismes trop facilement établis, beaucoup plus complexe qu'on ne le dit généralement.
Notes
[1] Un « repérage chronologique des mesures linguistiques de la Révolution » figure dans : Alcouffe, Alain et Brummert, Ulkrike. Les politiques linguistiques des États Généraux à Thermidor. Lengas, n° 17, 1985, 55-71.
[2] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française des origines à nos jours. Tome IX. La Révolution et l'Empire. Première partie. Le français, langue nationale. Paris, Armand Colin, 1967, p. 25.
Sauf mention particulière, la plupart des citations de ce chapitre sont extraites de cet ouvrage, capital pour la période et pour le sujet.
Ferdinand Brunot, linguiste français (1860-1938), est né à Saint-Dié. Il a été professeur à la Sorbonne. Son œuvre majeure, bien qu'inachevée, est l'Histoire de la langue française des origines à 1900, dont 10 tomes sont parus de son vivant. Pour chaque période, il étudie le vocabulaire, la morphologie, la syntaxe, ainsi que l'histoire de la prononciation et de l'orthographe. Il montre la corrélation entre les faits linguistiques et les faits sociaux, en particulier l'expansion du français au détriment des « dialectes » et des « patois ». Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, 1982, p. 1546 et 6126.
[3] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 158-159.
[4] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 162.
[5] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 184.
De Certeau, Michel, Julia, Dominique, Revel, Jacques. Une politique de la langue. La Révolution française et les patois. Paris, Galimard, 1975, p. 298-299.
[6] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 215.
De Certeau, Michel, Julia, Dominique, Revel, Jacques. Une politique de la langue…, op. cit., p. 317.
[7] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 186-187, et 291.
[8] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 312-313.
[9] Brunot (voir note 2, supra) en traite d'ailleurs en véritable jacobin, épousant complètement le point de vue de Grégoire et Barère. Commentant la loi scolaire de Vendémiaire, qui n'accordait pourtant, selon lui, que « des facilités passagères » aux langues régionales, il parle de « fâcheuse rédaction » : « on créait un danger… » (p. 313). A plusieurs reprises, il pourfend « le fédéralisme linguistique ». Il n'hésite pas à parler d' « erreur politique grave » lorsque le Comité d'instruction publique envisage en novembre 1792 que l'on apprenne à lire et écrire en français, mais que les autres matières soient enseignées en même temps en français et dans l'idiome du pays : « on se montrait impitoyable aux patois qui la gênaient peu (la République), tolérant aux idiomes qui menaçaient jusqu'à son existence » (p. 136-137). Il fait a posteriori le tri entre bons et mauvais patriotes : parlant des Alsaciens ou des gens du Nord qui continuaient à « désirer que l'école se fît dans l'idiome du pays », il les qualifie de « patriotes, ou soit-disant tels, (qui) ne voyaient pas ou ne voulaient pas voir que l'unification nationale » ne se ferait pas à ce prix (p. 145).
[10] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., tome IX, vol. I, p. 23.
[11] Grégoire évaluera un peu plus tard cette masse à 12 millions de personnes sur 15 : 6 qui ignorent la langue nationale, autant qui ne peuvent tenir une conversation suivie en français.
[12] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française,… op. cit., p. 23.
[13] Brunot rapporte, p. 30, que le décret n'a pas été « sanctionné ».
[14] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 25.
[15] Idiome n'est pas utilisé ici dans un sens péjoratif. Les révolutionnaires usent généralement, et Ferdinand Brunot après eux (p. 16), de la distinction entre les pays à idiome - dont les parlers sont le basque, le breton, le flamand, l'allemand, l'italien - et ceux où l'on ne parle qu'un patois. Brunot, au lieu de patois, emploie de préférence le mot dialecte.
[16] Balibar, Renée, Laporte, Dominique. Le français national. Politique et pratique de la langue nationale sous la Révolution. Paris, Hachette, 1974.
[17] Balibar et Laporte le reconnaissent d'ailleurs, p. 94. À la même époque, avait été prise une décision selon laquelle la rémunération « des instituteurs qui seront tenus d'enseigner dans les deux idiomes serait la même dans les pays basque, breton, et du Haut et Bas-Rhin, et que cette augmentation serait de deux cents livres » (14 novembre 1792).
Dentzel justifie les traductions en breton par un argument tout à fait politique : « nos frères du Morbihan, du Finistère et des Côtes-du-Nord, ne sont-ce pas ceux qui ont contribué à renverser le trône du despote ? » Cité par : Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 137 et 158.
[18] C'est la première et peut-être la seule fois que le breton est considéré non pas comme un idiome, mais comme une langue. Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 158-159.
[19] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 162.
[20] Il convient de noter que les auteurs du décret sont mal informés sur l'étendue de la zone bretonnante, puisqu'ils y incluent l'Ille-et-Vilaine, ainsi que les départements du Morbihan, des Côtes-du-Nord et de la Loire-Inférieure, en totalité.
[21] Balibar, Renée, Laporte, Dominique. Le français national…, op. cit., p. 97.
F. Brunot, toutefois, ne fait état de « terreur linguistique » que pour l'Alsace, p. 188-195.
[22] Le rapport Grégoire se fixait en réalité un double propos : éliminer les patois et « uniformer » la langue française. Mais même sur ce second point, la Convention se contente de réclamer au Comité d'instruction publique un… nouveau rapport « sur les moyens d'exécution pour une nouvelle grammaire et un vocabulaire nouveau de la langue française ».
[23] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française, op. cit., tome IX, vol. I, p. 12.
[24] Bertrand Barère de Vieuzac, homme politique français (1755-1841). Né à Tarbes, il fut avocat à Toulouse, puis conseiller à la sénéchaussée de Bigorre. En 1789, il est élu député aux États Généraux. En 1792, il représente les Hautes-Pyrénées à la Convention, où il évolue de la Gironde à la Montagne. Membre du Comité de salut public, il abandonne Robespierre le 9 thermidor. Après Germinal (avril 1795), il est condamné sans jugement à la déportation et emprisonné. Sous la Restauration, il sera proscrit comme régicide. Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, op. cit., p. 1048.
[25] C'est nous qui soulignons.
[26] Rapport du Comité de salut public sur les idiomes, dit rapport Barère. In : De Certeau, Michel, Julia, Dominique, Revel, Jacques. Une politique de la langue…, op.cit., p. 291-299. Reproduit d'après les Archives parlementaires, 1re série, tome LXXXIII, séance du 8 pluviôse an II, n° 18, p. 713-717. Paris, éd. du CNRS, 1961.
[27] C'est exactement cela qui gêne Barère, puisqu'il reconnaît qu'il existe « d'autres idiomes plus ou moins grossiers dans d'autres départements ; mais ils ne sont pas exclusifs [souligné par nos soins], mais ils n'ont pas empêché de connaître la langue nationale ». Les références sont identiques à celles de la note précédente.
[28] Notre analyse sur ce point rejoint celle de W. Busse, selon lequel la phrase de Barère : « cassons les instruments de dommage et d'erreur » doit s'entendre « cassons ce qui fait de ces langues des instruments de dommage et d'erreur ». Busse, Winfried. « Cassons ces instruments de dommage et d'erreur »: glottophagie jacobine ? Lengas, n° 17, 1985, p. 133.
[29] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 13-14.
[30] Cité par : Busse, Winfried. « Cassons ces instruments de dommage et d'erreur »…, op. cit., p. 129.
[31] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 147-148.
[32] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue français…, p. 148.
[33] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 173-184.
[34] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 177.
[35] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, p. 283. La portion de texte en italique est soulignée dans l'ouvrage.
[36] Mais il s'agit d'une perception tout utilitariste de la langue bretonne. F. Brunot constate (p. 177) « l'absence de discussions, de démonstrations, même de manifestes ».
[37] Signalé par : Alcouffe, Alain et Brummert, Ulkrike. Les politiques linguistiques des États Généraux à Thermidor…, op. cit., p. 56.
[38] Joseph Lequinio, l'un des correspondants de Grégoire, en mission en Charente, semble pourtant évoquer cette hypothèse : « Je parierais sur ma tête qu'il n'y a ni Vendée ni Basse-Bretagne que je ne ramenasse à la raison, et je crois fermement que cinq ou six Représentants, connaissant l'esprit de la campagne comme je le connais, sachant un peu écrire et parler, et ayant autant de fermeté que de douceur, vaudraient à la France des armées et lui épargneraient des millions de morts et une multitude d'agitations en la parcourant pour répandre l'esprit philosophique dans les campagnes. » Lequinio était pourtant partisan de l'élimination des « idiomes étrangers ». Cité par : Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 198.
Se reporter au chapitre 11 de la version papier de l’édition parue aux Presses universitaires de Rennes, 1995, p. 265-274. Ce chapitre, intitulé « La Révolution, langue de la politique », est également accessible en ligne sur ce site.
[39] Cet argument reprend l'idée exposée quelques années plus tôt par Rivarol, lequel fut primé par l'Académie de Berlin, en 1784, pour son « Discours sur l'universalité de la langue française ». Cette dissertation faisait l'apologie de la langue française dont il s'efforçait de démontrer la supériorité.
[40] Henri Grégoire, dit l'abbé Grégoire, homme politique français (1750-1831). Né à Vého, près de Lunéville, il fut curé d'Embermesnil, en Lorraine. Député du clergé aux États Généraux de 1789, il prête serment à la Constitution Civile du clergé de 1790. Évêque constitutionnel du Loire-et-Cher, député de la Convention, il réclame l'établissement de la République. Membre des Cinq-Cents (1795-1798), du Corps Législatif (1800), puis du Sénat (1802), il s'oppose au despotisme napoléonien et démissionne de son évêché après le Concordat. Il est élu député de l'Isère en 1819, mais les ultra-royalistes l'empêchent de siéger. Libéral convaincu, il meurt sans avoir renié ses positions. Grégoire est célèbre non seulement en raison de son enquête sur les patois, mais également pour avoir été à l'origine de l'émancipation des Juifs français et avoir fait voter l'abolition de l'esclavage. Ses cendres ont été transférées au Panthéon en 1992. Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, op. cit., p. 4974.
[41] A. Alcouffe et U. Brummert d'une part, et Winfried Busse d'autre part, considèrent aussi qu'il y a eu « deux politiques linguistiques de la Révolution » et qu'elles se chevauchent : la première, jusqu'au décret Barère y compris, doit être considérée comme une politique de propagation du français, mais qui reste favorable au bilinguisme, tout au moins à ce que Busse décrit comme « un bilinguisme partiel » ; la seconde, représentée en particulier par le rapport Grégoire et par le décret Merlin, est une politique d'éradication des parlers autres que le français.
W. Busse considère à cet égard que le rapport de Grégoire peut être considéré comme glottophage, alors que celui de Barrère ne le serait pas. Nous croyons pour notre part que tous deux se rejoignent sur le fond, concernant les idiomes. Par contre, il est exact que la politique linguistique de la Révolution a oscillé en permanence entre la tolérance du bilinguisme et la volonté d'unification linguistique à outrance.
Alcouffe, Alain et Brummert, Ulkrike. Les politiques linguistiques des États Généraux à Thermidor…, op. cit., p. 58 sq.
Busse, Winfried. « Cassons ces instruments de dommage et d'erreu »…, op. cit., p. 127 sq.
42] Toutes les interventions de Grégoire sur ce problème mériteraient une étude spécifique.
[43] On en trouvera le texte intégral dans : De Certeau, Michel, Julia, Dominique, Revel, Jacques. Une politique de la langue…, op. cit., p. 12-14.
[44] De Certeau, Michel, Julia, Dominique, Revel, Jacques. Une politique de la langue…, op. cit., p. 50.
[45] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 158.
[46] Cité par : Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 165.
[47] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 230.
[48] Convention nationale. Instruction publique. Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française. In : De Certeau, Michel, Julia, Dominique, Revel, Jacques. Une politique de la langue…, op. cit., p. 300-317.
Reproduit d'après : Gazier, Augustin, Lettres à Grégoire sur les patois de France. 1790-1794. Documents inédits sur la langue, les mœurs et l'état des esprits dans les diverses régions de la France, au début de la Révolution. Suivis du rapport de Grégoire à la Convention […]. Paris, G. Pedone-Lauriel, 1880. Reprint : Genève, Slatkine, 1969.
[49] C'était aussi, on l'a vu, un argument de Barère.
[50] La Convention décide simplement de diffuser le raport de l'abbé Grégoire, et lui demande un nouveau rapport (voir note 12, supra). Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française, op. cit., p. 215.
[51] Id, p. 213.
[52] Balibar, Renée, Laporte, Dominique. Le français national…, op. cit., p.119.
[53] De Certeau, Michel, Julia, Dominique, Revel, Jacques. Une politique de la langue…, op. cit., p. 313.
[54] Se reporter au chapitre 11 de la version papier de l’édition parue aux Presses universitaires de Rennes, 1995, p. 265-274. Ce chapitre, intitulé « La Révolution, langue de la politique », est également accessible en ligne sur ce site.
[55] De Certeau, Michel, Julia, Dominique, Revel, Jacques. Une politique de la langue…, op. cit., p. 164.
[56] Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française…, op. cit., p. 420.
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